24/10/2025


Ils ont façonné Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier : portraits du monde agricole local

Le terroir en héritage : l’agriculture, colonne vertébrale de la commune

Dans les replis des Bauges, entre forêts paisibles et vignobles qui s’arrondissent sous le vent, Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier est avant tout un village de terre, d’eau et de gestes anciens. Ici, la pierre de la maison, le mur de la grange et le pli du pré racontent l’histoire des hommes et des femmes qui, des siècles durant, ont modelé ce coin de Savoie. L’agriculture y est bien plus qu’un métier : elle est une affaire de famille, une colonne vertébrale pour la vie locale. Mais qui sont ceux et celles qui lui ont donné son visage ? Quels noms, quelles familles, quelles initiatives ont durablement marqué le paysage ? Ce récit plonge dans l’histoire vivante, qui continue de nourrir la mémoire et les tables du village.

Les pionniers de la polyculture : familles fondatrices et transmission

Si l’on remonte les archives municipales – dont certaines précieuses conservées au service des Archives départementales de la Savoie – le monde agricole local à Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier a longtemps été celui d’une polyculture attentive : céréales, élevage bovin, vergers, et vignes formaient le tissu serré de la vie rurale. Parmi les figures familiales emblématiques, plusieurs noms reviennent avec insistance pour le XIXe et le début du XXe siècle : les familles Jay, Gros ou encore Benoit ont marqué la commune par la taille de leurs exploitations, la diversité agricole et leur rôle de passeurs.

  • Les Jay, installés depuis 1835 sur les hauts du village, ont été parmi les premiers à introduire la rotation fourragère, permettant une alternance entre céréales et prairies pour soutenir un élevage mixte robuste.
  • La famille Gros quant à elle, a su valoriser les prairies humides proches de l’Isère, développant la culture du foin de qualité, qui participa à la renommée du canton au marché de Montmélian dans les années 1950 (source : La Savoie rurale au XXe siècle, P. Charvet).
  • Les Benoit, un pied dans la vigne, l’autre dans les arbres fruitiers, apportaient dès les années 1920 leurs pommes et poires jusque sur les marchés urbains de Chambéry.

Loin d’être figée, cette transmission familiale se doublait de solidarités saisonnières, où les fenaisons ou vendanges rassemblaient, chaque année, les générations autour des gestes ritualisés. Ce patrimoine humain demeure la clef de voûte d’une mémoire agricole encore vivace : en témoignent les grandes tablées lors de la Fête du Foin ou du Concours agricole local.

Vignerons et coopérateurs : le renouveau du vignoble savoyard

Les vignobles en coteaux, riches en jacquère et en altesse, révèlent une autre facette de la commune, teintée d’audace et de résilience. Si le vin de Savoie n’a jamais eu la notoriété bourguignonne, il fut longtemps le vin du partage, du casse-croûte, du mariage. Toutefois, autour des années 1970–80, un enjeu se dessine : de nombreux petits vignerons risquent de disparaître sous l’effet de l’exode rural et des crises agricoles.

L’épopée de la Coopérative de Chignin-Bergeron

C’est alors qu’émerge, sur le modèle voisin de Chignin, la volonté d’une poignée de vignerons de Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier de se regrouper pour continuer à exister. Le nom qui revient ? Jean-Pierre Lagier. Ce cultivateur-vigneron, formé aux méthodes de l’œnologie moderne à la station agronomique de Gilly, joue un rôle moteur lors de la fondation de la coopérative locale en 1982 (source : Vignerons de la Savoie, éditions Glénat).

  • Grâce à la mutualisation des pressoirs et des caves, la coopérative permet à plus de 12 exploitants de résister à la baisse des prix du raisin et de lancer leur propre cuvée en AOC Vin de Savoie.
  • Son engagement pour la réintroduction de cépages anciens, comme la Mondeuse noire, est aujourd’hui salué par les œnologues régionaux (voir Vins de Savoie).
  • Chaque année, le concours de la commune met à l’honneur ce savoir-faire, en présence d’élèves du Lycée Agricole de La Motte-Servolex, perpétuant l’esprit de coopération et de transmission.

Les gardiens du bocage : éleveurs et patrimoine vivant

Impossible d’évoquer le monde agricole local sans saluer l’apport des éleveurs. L’élevage bovin, notamment de la vache tarine, est ici une tradition séculaire. Mais des figures émergent, capables d’initier des transformations et de défendre une certaine vision du “bien-vivre” rural.

Emile Pion : du bocage à la transmission

Dans les années 1970, Emile Pion, éleveur sur le hameau du Châtelet, fut l’un des premiers à s’investir dans la préservation de la haie bocagère, alors menacée par le remembrement agricole. Son action, menée de conserve avec l’association “Bocage en Savoie”, permet non seulement de conserver 4 km de haies, abris pour la biodiversité, mais aussi de sensibiliser les enfants des écoles à la richesse de ce patrimoine vert (sources : Bocage et paysages, revue FNE Savoie).

Ce travail pionnier trouve aujourd’hui un prolongement dans l’engagement de la famille Martel, derniers éleveurs à proposer un lait fermier vendu en circuit court à la FERME de Chambéry. Ils forment de jeunes apprentis dans le cadre de stages organisés par la Chambre d’Agriculture.

Femmes de la terre : cheffes d’exploitation et solidarités rurales

L’histoire agricole du village ne serait pas complète sans souligner le rôle déterminant des femmes, trop longtemps invisibilisées dans les récits savants ou officiels. À Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier, plusieurs cheffes d’exploitation ou membres de groupes féminins ont pourtant marqué la vie locale.

  • Marie-Louise Duret, veuve depuis la Guerre, tint seule la ferme familiale des Meunières de 1945 à 1970, assurant l’élevage, les ventes au marché, et fondant une association de producteurs de fromages frais dont certains produits sont toujours présents sur les étals du marché (source : témoignages recueillis lors de la Fête du Village 2019).
  • Dans les années 1980, le groupe des “Femmes de la Plaine” – une vingtaine d’agricultrices issues de plusieurs hameaux – mit en place un système de mutualisation des équipements agricoles : l’achat conjoint de semoirs, moissonneuses, et même d’un micro-tracteur. Leur expérience a inspiré le Groupement d’achat de matériel agricole du canton.
  • Plus récemment, Cécile Grospiron, apicultrice installée depuis 2014, coordonne des ateliers pédagogiques et participe à la conservation des races locales d’abeilles (sources : Réseau Apis Savoie).

Des initiatives collectives pour une agriculture vivante

Derrière chaque figure, c’est souvent une dynamique collective qui tire Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier vers l’avant. Ces initiatives forment le creuset d’un territoire résilient et inventif.

  • La CUMA de Coise-Saint-Jean (constituée en 1991) : cette Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole permet à une quarantaine d’exploitants du secteur de disposer en commun de moissonneuses, ensileuses et autre matériels coûteux (sources : France CUMA), réduisant ainsi les charges et favorisant la vie collective.
  • Le GAEC de la Fougère, créé en 2002, incarne la modernisation solidaire : ce groupement d’exploitation regroupe trois familles qui produisent en bio, livrent des paniers de légumes hebdomadaires et ouvrent régulièrement leurs portes aux écoliers de la commune.
  • Les Marchés de Producteurs locaux, soutenus par la municipalité, permettent depuis 2015 à une quinzaine d’agriculteurs du secteur de vendre chaque semaine directement leurs produits : fromages, miel, plantes aromatiques, charcuteries. En 2022, on a compté en moyenne 600 visiteurs par marché, un chiffre en hausse de 25% depuis la création de ces rendez-vous (source : Mairie de Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier).

La relève : jeunes agriculteurs et nouveaux enjeux

Aujourd’hui, le monde agricole local ne manque pas de défis : transition écologique, renouvellement des générations, valorisation des circuits courts ou adaptation au changement climatique. Mais une nouvelle génération prend racine, parfois issue d’autres horizons, portant la même passion du terroir.

En 2020, la commune comptait, selon la Direction régionale de l’agriculture, 11 exploitations, dont 4 tenues par des agriculteurs de moins de 40 ans. Parmi eux, Thibaut Viallet, maraîcher en permaculture, s’est distingué par la création d’une micro-ferme diversifiée sur les anciennes friches du Sautet. Sa démarche écologique, alliant agriculture régénérative et accueil pédagogique, attire chaque année plus de 300 visiteurs, scolaires ou simples curieux (source : La Vie Nouvelle, 2023).

Ces nouveaux venus croisent souvent l’expérience de figures plus anciennes au sein de collectifs ou de rendez-vous associatifs. Les Journées « Fermes ouvertes » ou les Agri’tours organisés sur la commune permettent à chacun de découvrir la pluralité des visages agricoles : du berger montagnard au vigneron passionné, du descendant d’une lignée séculaire au tout nouvel installé.

Ces visages qui racontent un pays

À Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier, le monde agricole n’est pas fait d’anonymes. Chaque haie, chaque vigne, chaque parcelle cache le souvenir d’un nom, d’une passion, d’un engagement discret ou flamboyant, collectif ou singulier. Ceux et celles qui ont influencé la commune le font encore, par une parole transmise, une pratique partagée, ou simplement une main tendue à la relève.

Héritiers de gestes venus de loin, passeurs d’un terroir vivant, les figures agricoles de Coise-Saint-Jean ne sont pas des héros de musée : ils écrivent, au fil des saisons, le vrai roman d’un village où la terre a encore un visage humain.

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