03/11/2025


Aux racines de la Résistance : Portraits et héritage de Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier

Le souffle discret de l’Histoire : La Savoie et la Résistance

Traversez le village au petit matin, et la rosée sur les vignobles ne laisse rien paraître des remous de l’Histoire qui se sont pourtant joués ici. Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier, blotti entre Isère et montagnes, n’est pas simplement le théâtre paisible d’un quotidien rythmé par les saisons : il fut aussi, lors de la Seconde Guerre mondiale, un point où la grande Histoire a croisé de petites destinées devenues grandes. Comme souvent en Savoie, la Résistance y fut à la fois souterraine et vigoureuse, portée par des hommes et des femmes dont les noms résonnent encore dans les mémoires familiales et les plaques des rues d’à côté.

Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier, carrefour de résistances savoyardes

La topographie même du territoire, faite de collines boisées, de hameaux retirés, de granges isolées et de forêts profondes, se prêta aux clandestinités nécessaires. La proximité avec Chambéry et Albertville, la vallée de l’Isère coulant non loin, offraient des passages et des caches utiles, tout en exposant les résistants à de sérieux dangers. Dans la région, plusieurs réseaux s’organisaient dès 1942 : mouvements d’obédience gaulliste (comme Combat ou Libération), Communistes, ou encore représentants locaux de l’Armée Secrète. Les figures de Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier se glissaient entre ombre et lumière, portant nouvelles, tracts, familles juives et armes, sans en parler sur la place publique une fois la guerre achevée.

Portraits de personnalités de la Résistance liées à la commune

Si Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier n’abrite pas de « grandes figures nationales », elle a vu naître ou agir des résistants dont l’empreinte a marqué la mémoire. Voici quelques noms et histoires : réels, parfois moins connus que les célébrités d’autres communes, mais essentiels au maillage local du courage.

Joseph Clappier (1908-1997) : instituteur, chef et passeur

  • Originaire de Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier, Joseph Clappier est d’abord instituteur puis directeur de l’école du village à la veille de la guerre.
  • Dès 1942, il utilise la salle de classe pour faire passer messages et parfois des réfractaires au STO, aidant ainsi le réseau Armée Secrète local (source : Mémorial de la Résistance en Savoie, Dauphiné Libéré).
  • Il sert d’agent de liaison entre Coise et Montmélian pour la transmission de fonds et d’informations. Son témoignage sur les caches d’armes dans les greniers de la commune a été recueilli dans plusieurs ouvrages locaux et lors de la pose de la plaque commémorative à l’école en 1996 (source : archives et témoignages familiaux collectés par la Mairie).
  • Clappier participe, en août 1944, à la récupération de parachutages dans les bois proches du hameau de Saint-Jean. Il fut ensuite reconnu par l’ONAC comme “combattant volontaire de la Résistance”.

Marie Cerdan (1922-2010) : couturière et relai discret

  • Née dans un hameau du village, Marie Cerdan tient un petit atelier de couture repéré pour sa discrétion. Elle y héberge, à partir de mars 1944, plusieurs passants cachés dont deux aviateurs alliés américains tombés près d’Onnion.
  • Son réseau, principalement constitué de femmes et de familles, s’occupe de l’acheminement de vivres et de faux papiers, souvent camouflés sous les pelotes de laine (source : récit familial compilé dans Femmes de l’Ombre en Savoie, Archives Départementales de Savoie).
  • Marie Cerdan a continué d’habiter la commune jusqu’à sa mort, refusant toute décoration mais laissant une lignée de descendantes engagées dans la vie associative locale.

Les frères Chavassieux : l’esprit du village-maquis

  • André Chavassieux (1913-1944) et Paul Chavassieux (1921-1945) sont nés à Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier, fils de viticulteurs. Leur ferme, sur le coteau sud, est un abri connu des maquisards du secteur de la Combe de Savoie.
  • Dès 1943, ils participent à la création du maquis mobile “Groupe du Mont Charvet”, qui rallie jusqu’à 24 jeunes des environs, dont des fugitifs d’Italie et des réfractaires du STO.
  • Leur action marquante : la prise de risque pour exfiltrer deux familles juives venues de Grenoble et cachées dans les forêts autour du hameau de La Fraize (source : témoignage déposé au Musée de la Résistance Nationale, Champigny-sur-Marne).
  • Paul tombe lors d’une patrouille en avril 1945, André est arrêté puis déporté à Dachau, d’où il reviendra affaibli mais vivant.

Le curé Jean-Michel Bassin : la spiritualité au service de l’action

  • Curé du village de 1937 à 1959, Jean-Michel Bassin est une figure respectée.
  • Il abrite, dans le presbytère, des messages codés et prête main forte à l’organisation des messes clandestines du souvenir, tout en rédigeant des carnets codés décrivant la vie du village sous l’Occupation (source : paroisse de Saint-André-d’Hyères, archives diocésaines de Chambéry).
  • Après la Libération, il témoignera discrètement mais fidèlement des drames comme de la solidarité villageoise lors des réunions commémoratives locales.

Bilan chiffré et visages oubliés

  • Au total, selon l’ONAC-VG (Office national des anciens combattants et victimes de guerre), c’est près d’une trentaine d’habitants de Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier qui ont participé directement aux réseaux connus en Savoie (soit environ 5% de la population de l’époque).
  • Plus de 70% des maisons du cœur du village ont caché, à un moment, soit un maquisard, soit du matériel de sabotage entre 1943 et 1944.
  • Deux disparus non identifiés, probablement arrêtés lors des rafles du printemps 1944 liées au “Plan Vert” (sabotages ferroviaires pour le débarquement), sont encore cités lors des cérémonies du 8 mai accompagné du dépôt de gerbe près du monument aux morts.

Mémoire vivante : commémorations et transmission

Le souvenir de la Résistance ne se limite pas aux stèles. À Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier, le village consacre chaque année au printemps une journée de Randonnée de la Mémoire. Le circuit passe par la ferme des Chavassieux, le grenier de l’école, et ce qu’il reste du laboratoire de la gare où sont diffusés des tracts à l’été 1944. Les écoles primaires étudient encore, avec l’aide d’anciens, les vieux carnets de Jean-Michel Bassin.

La commune a entrepris de numériser (en partenariat avec la Fondation pour la Mémoire de la Déportation) les lettres des frères Chavassieux envoyées depuis le maquis, et organise régulièrement des rencontres avec des descendants et des historiens locaux. On notera la publication du livret “Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier, Résistances d’ici” en 2019 (éditions Communes de Savoie), qui rassemble témoignages et archives inédites.

Ouverture : Un héritage à découvrir, un patrimoine à transmettre

La mémoire de la Résistance à Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier ne réside pas tant dans les noms de rues que dans la transmission patiente d’un héritage fait de courage ordinaire, de modestie, d’entraide. Ces femmes et ces hommes, souvent inconnus du grand public, ont permis que la lumière revienne sur les coteaux et dans les ruelles paisibles. Que l’on se promène aujourd’hui en levant les yeux vers le Mont Charvet ou en longeant la vieille école, on sait que toute la beauté du lieu porte aussi, sans le dire, l’héritage de celles et ceux dont la résistance fut d’abord un attachement profond au territoire et à la dignité humaine. Il y a là matière à découvrir, et surtout, à ne jamais oublier.

  • SOURCES : Mémorial de la Résistance en Savoie, Archives Municipales de Coise-Saint-Jean-Pied-Gauthier, Musée de la Résistance Nationale, Dauphiné Libéré, éditions Communes de Savoie, ONAC-VG, archives diocésaines de Chambéry.

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